vendredi 16 décembre 2011

Breezy de Clint Eastwood


Quelque chose comme le rêve réalisé d'Humbert Humbert : des journées consacrées à Lolita dans un monde pacifié. Humbert Humbert passait ses journées avec Lolita mais dans la crainte de deux choses : qu'il ne se fasse attraper ou que Lolita aille voir ailleurs; le problème c'était le monde entier, cela le condamnait au road-trip. Ici Breezy-Lolita est pur amour et l'obstacle du regard-des-autres est traité mais pour être réduit à néant, le problème n'est pas celui que traite un film comme Tout ce que le ciel permet, il est autre.
Le monde devient ainsi capable d'accueillir cet amour, un amour comme un enchaînement de "plus belle journée de sa vie" : c'est le maximum qu'un adulte puisse offrir à une adolescente, disons même qu'un être humain puisse offrir à un autre être humain et les scènes de Breezy sont très belles, baignées de lumière et de joies simples mais inquiètes parce qu'elles sont trop simples pour Holden. Le couple ne cesse ainsi de discuter et de s'expliquer leur bonheur.

Cette idée de la belle journée est décuplée, intensifiée par la différence d'âge : il lui paye ses boissons, ses tenues, il l'héberge, elle l'attend à la maison, il rentre vite du travail et des soirées (Pretty Woman). Un matin ils atteignent cette utopie éclatante de la journée libre : Holden n'a qu'un seul rendez-vous et s'adressant à Breezy encore alitée, lui dit : "je te rejoins tout de suite après"; un rendez-vous, c'est juste ce qu'il faut pour vivre d'amour et d'eau fraîche, comme si le couple cherchait (toujours ?) à éprouver jusqu'où l'on peut aller dans l'ignorance du monde et de ses nécessités.

Quand est évacué le problème de l'extériorité et des qu'en dira-t-on, la morale se focalise souvent sur le problème d'un personnage face à lui-même, ici le difficile choix de l'instant présent que représente la présence de Breezy et derrière lequel palpite toujours l'avenir rabat-joie, l'insurmontable "et après ?". Cet amour, William Holden s'en rend compte, n'empêche pas autre chose d'advenir car il n'y a précisément rien d'autre que cet amour. Il croit à une possibilité de s'extirper d'une relation en gardant la santé dans laquelle le monde et lui-même ont été pendant la relation amoureuse, mais se rend compte que ce monde là et ce soi là s'effondrent nécessairement. Il a cru pouvoir se passer des conditions de possibilité du bonheur tout en gardant le bonheur; constante de la comédie romantique.

Ce qu'il craint en s'engageant avec Breezy, c'est que cet amour qui le connecte au seul présent, aux journées qui s'égrènent et se dépensent dans la joie, ne lui cache l'horizon grave de l'avenir. Très belle idée du film qui consiste à montrer que le temps de l'amour, c'est la journée. Ainsi le surgissement d'un amour pose la question du temps et de la façon dont on désire qu'il passe : attention au présent VS attention à l'avenir, ou plus précisément  : attention à un sens de l'âge, à un sens des choses qu'il ne faut plus faire, au sens de l'avenir pour un homme âgé qui n'est pas le même que le sens de l'avenir pour une mineure. Combat entre deux temps dont le héros se rend compte qu'il n'a pas lieu d'être et qu'il suffit de faire s'assimiler à l'autre l'un des deux termes (ce que ne fera pas Lemmon dans Avanti!) : ce qu'il désire c'est ce présent pour l'éternité.


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