dimanche 10 avril 2011

La Pianiste, Haneke



« La méchanceté c'est empêcher quelqu'un d'effectuer sa puissance. » 
Gilles Deleuze

La pianiste organise cette orgie impuissante de méchanceté et de perversité, derniers tristes pouvoirs de deux faux complices qui avaient cru pouvoir s'approcher sur les chemins de la musique et d'une relation autoritaire. La force de Haneke c'est de ne jamais s'intéresser à des pathologies trop désignées mais de s'immerger dans une noirceur qui rend nécessaires les affects destructeurs et leur lot de sordidités. La manière de construire d'Erika s'assimile donc à une destruction de ce que son élève n'avait pourtant même pas eu le temps de construire : c'est le sens de ses mutilations, de son repli de vieille fille, de son désir ridicule de contrôle sexuel et émotionnel. Peut-on encore détruire lorsqu'il n'y a plus rien à détruire ? La pianiste s'attaque à ce qui persiste dans ce désert, ses coups se dirigent vers elle-même à défaut de rencontrer des aspérités extérieures et après avoir épuisé la dernière d'entre elles. C'est ainsi lorsque l'on entreprend de raser une surface déjà plane : on ne peut que vouloir la saper, attaquer ce qui la sous-tendait timidement. 

Si la folie d'Erika est impitoyablement contextualisée entre une mère insatiable, la rigidité passionnée de son environnement professionnel et la médiocrité de ses exutoires sexuels elle n'est pourtant pas toujours déjà induite : celle dont Walter tombe amoureux est cette femme exigeante qui écoute les notes de ses élèves avec intelligence et dans les yeux de laquelle Haneke s'applique à traquer la flamme des affects joyeux que suscitent un Schubert ou une voix qui chante. La puissance d'Erika est maladroite dès qu'elle sort de son champ musical habituel, trop habituée à son propre intérieur elle aimerait pourtant rester fidèle à elle-même lorsqu'elle saisit les rênes de son amour naissant ; la méchanceté de Walter consiste précisément à la croire malgré elle, à lire ses lettres et ses ordres débridés comme s'ils valaient, comme s'ils devaient mener quelque part. Lorsque Erika répète qu'elle veut tout ce que lui-même veut Walter n'écoute pas le sens de cette parole, il ne comprend pas cet appel à effectuer leurs puissances parce que son amour se limite à un amour de la flamme et qu'il contient d'emblée en la limitation de sa direction la destruction finale de son objet. En flirtant avec la flamme comme un enfant y passe compulsivement son doigt Walter finit par la souffler et par y brûler ses ailes, sur l'autel de la nostalgie de la lumière.

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