vendredi 11 juin 2010

gibier de potence

LES YEUX SANS VISAGE - G. FRANJU (1959)


Le chirurgien Genessier scrute le visage d'une patiente qui vient d'être admise dans sa clinique. Ses yeux le dévorent à la recherche d'une certaine compatibilité avec celui de sa fille, il le dépèce déjà et cette attention perçante se mélange au regard médical, le rend malsain, dangereux. La bienveillance du technicien de la santé au service du bon fonctionnement du corps est pervertie, transformée au service d'une fin passionnelle, tragique, celle de redonner un visage à sa fille, défigurée dans un accident de voiture qu'il a causé.

Amour ou culpabilité ? Genessier est doublement chargé de responsabilités : en plus d'être l'assassin d'un visage, il l'est de celui de sa propre fille. La culpabilité ne suffirait pas à justifier son entreprise folle, l'amour pour sa fille est dramatisé par cette dette, sa vie s'efface au profit de celle qu'il a mutilée. Toutes les vies n'ont plus la même valeur, les jeunes filles pourraient se succéder et mourir indéfiniment dans le sous-sol du chirurgien, elles sont comme les chiens de la pièce voisine, des pièces à la disposition de leur geôlier. Rôle ambigu de la fille de Genessier, victime-bourreau que le spectacle de dépècement des autres ne trouble pas, elle n'y met un frein que lorsqu'elle s'est résignée à l'échec d'une nouvelle naissance, lorsqu'elle s'abandonne à la fuite en libérant tous les êtres qui avaient été enfermés pour lui profiter.

Malaise pendant la découpe du visage d'une des jeunes filles : le film a vieilli, le sang est grossièrement faux, les coupures sont évidemment simulées mais le malaise nait et s'installe. Le pouvoir de suggestion de la scène dépasse tout souci de vraisemblance, pendant de longues minutes la caméra ne quitte pas le gros plan du visage découpé, décollé. La sensibilité de notre propre visage est telle qu'elle se projette dans cette simulation maladroite, le malaise est violemment physique. 
La barbarie n'a pas la globalité d'une torture, cette focalisation sur le visage est proprement déshumanisante : sans visage nous ne sommes plus rien, nous ne sommes plus que ce monstre que tout le monde croit mort, obligé de se cacher comme Christiane. Un monstre qui ne peut retrouver son humanité qu'en dépeçant celle des autres, quelque chose a été perdu et ne peut plus être retrouvé, cette inhumanité ne peut se combler qu'en se transmettant, qu'en volant des visages à son tour.

Les yeux sans visage : restent les yeux, perdus au milieu d'un masque qui tente de reconstituer le visage, masque en plâtre dont la blancheur semble respecter celle de la peau de la cristalline Christiane. Le masque appartient davantage à Christiane que les visages qu'elle essaie en vain de s'approprier, les greffes et leurs rejets se succèdent et toujours elle doit revêtir son masque, fidèle jusque dans la fuite.
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