mardi 1 juin 2010

Essence du problème


La dernière fois j'ai emmené Emile au cinéma pour aller voir Une femme disparaît d'Alfred Hitchcock. Les lumières se sont éteintes, le film a commencé. Pendant la séance je me suis obligée à être particulièrement et rigoureusement attentive à ce qui, à première vue, pouvait s'apparenter à une signature hitchcockienne qui pouvait me frapper à force de visionnage de son oeuvre et d'une relation amicale que l'on forge nécessairement avec un réalisateur qu'on aime. J'ai essayé de modestement comprendre un peu plus Hitchcock, de trouver un dénominateur commun à ses films et cela depuis le deuxième rang, comme si l'écran large du cinéma rendait tout plus éloquent, plus visible.
Une chose m'a particulièrement frappée, une chose qui est digne d'être généralisée à bon nombre de ces films (La mort aux trousses, Pas de printemps pour Marnie, Le crime était presque parfait, Fenêtre sur cour, Les Oiseaux, Psychose, Mais qui a tué Harry?, L'homme qui en savait trop, Soupçons, Une femme disparaît, La corde et certainement d'autres mais qui ne me reviennent pas ou que je n'ai pas vus) et qui n'est encore qu'à l'état de petite thèse timide : Hitchcock nous tient parce qu'il s'agit toujours (ou disons très souvent) dans son cinéma de faire appel à cet infini réconfort qui consiste à se faire expliquer une chose, à la voir se dénouer et se rationaliser devant nous jusqu'à ce que l'étrangeté disparaisse tout à fait.
Hitchcock parle à notre soif et à notre jouissance de compréhension. Bien sûr nous n'engrangeons aucun savoir sur le réel après l'un de ses films, (sinon que toute situation initialement insurmontable tend à se surmonter dans le temps) il s'agit juste de créer par une situation artificielle et ludique le plaisir très humain et uniquement humain de la rationalisation. Hitchcock nous place face à l'essence du problème et l'essence de sa résolution.

Face au problème tantôt on accorde au spectateur le point de vue omniscient (il connaît les causes), tantôt on le place du côté du personnage-ignorant (il cherche les causes). Dans le premier cas, quel serait l'intérêt pour le spectateur de résoudre une deuxième fois ce à propos de quoi il a déjà été tenu au courant sinon celui d'assister étape par étape à la façon (souvent ingénieuse) dont tel personnage se débrouille pour accéder à l'explication d'un phénomène?

La situation est donc inexpliquée, irrationnelle, inhabituelle, mais plus que ça, le personnage pris dans ce qu'il ne s'explique pas décide malgré tout (la peur, l'impuissance, la désapprobation de l'entourage, les opinions divergentes sur ce que peut être "le réel") d'investir la situation. Il s'en rend maître même s'il n'est pas en possession de toutes les données et fait montre d'une obstination que le spectateur encourage et que les autres personnages réprouvent. Si Hitchcock aime nous expliquer, remonter laborieusement aux causes, on comprend alors pourquoi la psychanalyse devient pour lui un exquis sujet de prédilection.

Lifeboat - Alfred Hitchcock

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire