« Alors la vie jaillissante c’est pas quelque chose d’extraordinaire, c’est comme l’élan vital bergsonien, c’est pas du tout extraordinaire, c’est même très fatigant, c’est pas la grande joie non plus. Mais c’est des gens qui sont épuisés par la vie, même petite, par une petite vie, au lieu d’épuiser la vie. Si bien que par eux quelque de chose de la vie passera et rebondira. »
Gilles Deleuze
Dans un cadre millimétré les Dardenne travaillent au corps à corps les réflexes trop rapides, les réponses pré-mâchées d'un scénario tentateur : le film est parcouru par des contre-mouvements dont on ressent puissamment l'énergie sans qu'ils éradiquent les cadenas d'autres mouvements, qui s'acharnent eux à résoudre rapidement des problèmes que les spectateurs ne prendraient sans doute aucun intérêt à voir résoudre. Mais ces quelques phrases tapageuses ("c'est lui ou moi") qui devraient assurer sans souffle la jonction des échappées ne sont que le peloton paresseux d'une rencontre qui le devance, le dépasse, et qui ne peut par conséquent être suivie qu'avec cet engourdissement du groupe, ces réponses qui ne sont rien ni personne et qui n'ont encore rien rencontré. Le gamin au vélo n'est que courses et efforts, fuites et accélérations, un trajet le sépare toujours des buts qui se sont imposés (retrouver son père, attaquer le libraire...) et c'est à force d'investir ces trajets de ses cavalcades qu'il en prend possession, qu'il libère son chemin de ce qui lui faisait obstacle. Il entraîne la coiffeuse là où les autres coureurs avaient frauduleusement déclaré forfait, elle comprend avec lui qu'elle ne peut pas abandonner sa course, qu'il n'y aurait aucune réelle raison de le faire, à l'image de l'abandon infondé du père ou de l'ultimatum idiot du petit ami.
On pense à l'Alice dans les villes de Wenders qui demande à son imprévu tuteur ce que sont ces autres choses vaguement invoquées qu'il aurait à faire et à celui-ci qui, authentiquement, ne peut rien trouver à répondre : ce qu'il a à faire, il le fait, coïncidence étrange qu'il faut savoir voir et que la coiffeuse voit, très immédiatement. Il n'y a plus à mettre en scène de fausses délibérations et de faux dilemmes, la littérale irruption du gamin au vélo n'est plus un accident, son aléatoire est rendu nécessaire, la négociation des modalités de la relation ("tu peux t'accrocher à moi mais serre-moi moins fort") commence en même temps que celle-ci, signe qu'elle existe déjà, immédiatement. Mais il faut de la persévérance pour suivre une pente pourtant aussi naturelle que la chute des corps, le père ou le petit-ami n'ont su que y freiner, s'égarer, peut-être cette rencontre n'était-elle pas la leur, peut-être sont-ils condamnés à rater ce qu'ils cherchent à force de le chercher, à force de se convaincre que ça ne peut pas être ça, maintenant.
Dans un cadre millimétré les Dardenne travaillent au corps à corps les réflexes trop rapides, les réponses pré-mâchées d'un scénario tentateur : le film est parcouru par des contre-mouvements dont on ressent puissamment l'énergie sans qu'ils éradiquent les cadenas d'autres mouvements, qui s'acharnent eux à résoudre rapidement des problèmes que les spectateurs ne prendraient sans doute aucun intérêt à voir résoudre. Mais ces quelques phrases tapageuses ("c'est lui ou moi") qui devraient assurer sans souffle la jonction des échappées ne sont que le peloton paresseux d'une rencontre qui le devance, le dépasse, et qui ne peut par conséquent être suivie qu'avec cet engourdissement du groupe, ces réponses qui ne sont rien ni personne et qui n'ont encore rien rencontré. Le gamin au vélo n'est que courses et efforts, fuites et accélérations, un trajet le sépare toujours des buts qui se sont imposés (retrouver son père, attaquer le libraire...) et c'est à force d'investir ces trajets de ses cavalcades qu'il en prend possession, qu'il libère son chemin de ce qui lui faisait obstacle. Il entraîne la coiffeuse là où les autres coureurs avaient frauduleusement déclaré forfait, elle comprend avec lui qu'elle ne peut pas abandonner sa course, qu'il n'y aurait aucune réelle raison de le faire, à l'image de l'abandon infondé du père ou de l'ultimatum idiot du petit ami.
On pense à l'Alice dans les villes de Wenders qui demande à son imprévu tuteur ce que sont ces autres choses vaguement invoquées qu'il aurait à faire et à celui-ci qui, authentiquement, ne peut rien trouver à répondre : ce qu'il a à faire, il le fait, coïncidence étrange qu'il faut savoir voir et que la coiffeuse voit, très immédiatement. Il n'y a plus à mettre en scène de fausses délibérations et de faux dilemmes, la littérale irruption du gamin au vélo n'est plus un accident, son aléatoire est rendu nécessaire, la négociation des modalités de la relation ("tu peux t'accrocher à moi mais serre-moi moins fort") commence en même temps que celle-ci, signe qu'elle existe déjà, immédiatement. Mais il faut de la persévérance pour suivre une pente pourtant aussi naturelle que la chute des corps, le père ou le petit-ami n'ont su que y freiner, s'égarer, peut-être cette rencontre n'était-elle pas la leur, peut-être sont-ils condamnés à rater ce qu'ils cherchent à force de le chercher, à force de se convaincre que ça ne peut pas être ça, maintenant.