vendredi 13 août 2010

Aimer les hommes / Prêt-à-porter de Robert Altman



Ancienne critique qui n'a plus de patrie et qui donc trouve un intérêt à être republiée ici. J'aimerais un jour écrire plus en détails sur le cinéma d'Altman.


Short Cuts c’était déjà ça : pas d’intrigue, pas de «attention ça commence » ni de «c’est fini» parce qu’Altman a dans l’idée que le film doit faire semblant de continuer sans nous, hors-caméra, et nos propres vies aussi; on ne décide pas de la fin, on prend tout, on avale même quand on a plus faim, c'est ce que le film arrive à saisir de nos propres vies.
Short Cuts c’était déjà aussi ça : on prend la crème de la crème des acteurs et on les fait jouer de telle sorte que l’on se rappelle subitement à quel point ils sont respectueusement à notre service et qu'il n'a jamais été question de les aduler un jour, ou en tout cas de simplement les aimer pour leur capacité à imiter si bien l'homme, à cristalliser trop de choses en lui en une simple gestuelle.
Altman adopte le point de vue d’un Dieu bienveillant et amoureux de ses créatures; il pardonne tout et montre pourquoi il pardonne : parce que les gens sont uniques, inconséquents, touchants dans leurs bêtises d’adultes. La caméra est celle qui prend les hommes en flagrant délit et qui leur dit «regardez ce que vous avez fait» vous êtes à l’origine de cette mascarade démentielle qu’est le milieu de la mode. Il dit aussi, au fond, humanité, tu n’es belle que dans ton inattention, dans ton abandon, tu foires tout ce que tu entreprends, ta beauté t’échappe et elle n’est beauté que parce qu’elle t’échappe : tu es belle en peignoir, tu es belle dans ta faiblesse, tu es laide quand tu contrôles, quand tu penses contrôler.
C’est officiellement «voilà la Mode», cet édifice plutôt solide, ce monstre avec des règles (le défilé des crédits dans le générique de fin est spectaculaire) et officieusement «voilà les hommes», faibles, lâches, inconséquents, infidèles, vaniteux.
Il y a la Mode, cette institution devenue autonome, qui échappe et avale tout le monde, qui possède ses propres ouvriers et ses clients, et un réalisateur qui décide par l’imaginaire de faire de ce qui lui est étranger son propre miel, d’investir les lieux en présence d’hommes et de femmes, de corps et d’histoires, et de foutre réellement le bordel à la fashion week.

Altman s'il dénonce ne dénonce qu'en montrant sans jamais souligner grossièrement (même si montrer c'est déjà souligner), il ne fait qu’une grande guirlande de bonhommes en papier crépon où en détails il ne raconte rien d’important mais où l'ensemble dit tout: il dit «la vie c’est une suite d’anecdotes à raconter», Altman ne fait en réalité que poursuivre avec les moyens du cinéma les décors, les images, les atmosphères que Raymond Carver essayait de planter dans nos têtes avec ses nouvelles, mais aussi «la mode c’est encore de la vie, encore de l’homme». Le film d'ailleurs possède les vertus de l'anecdote et délaisse ses insuffisances, dense et réjouissant comme elle, mais préférant la longueur d'une fresque, de l'idée de film choral poussée jusque dans ses retranchements, plutôt que sa frustrante brièveté.

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